Je suis un artificier. Je fabrique quelque chose qui sert finalement à un siège, à une guerre, à une destruction. Je ne suis pas pour la destruction, mais je suis pour qu’on puisse passer, pour qu’on puisse avancer, pour qu’on puisse faire tomber les murs. Un artificier, c’est d’abord un géologue. Il regarde les couches de terrain, les plis, les failles. Qu’est-ce qui est facile à creuser? Qu’est-ce qui va résister ? Il observe comment les forteresses sont implantées. Il scrute les reliefs qu’on peut utiliser pour se cacher ou pour lancer un assaut. Une fois tout cela bien repéré, il reste l’expérimental, le tâtonnement. On envoie des reconnaissances, on poste des guetteurs, on se fait faire des rapports. On définit ensuite la tactique qu’on va employer. Est-ce la sape? Le siège? Est-ce le trou de mine, ou bien l’assaut direct?…La méthode, finalement, n’est rien d’autre que cette stratégie.

Michel Foucault «Je suis un artificier», 1975.


I’m an explosives expert. I make things that can be used, when it comes down to it, for sieges, wars, destruction. I’m not favour of destruction, but I’m favour of being able to push through; to move forward; to bring down walls. An explosives expert’s first of all a geologist. He looks at layers of terrain, folds, fault lines. What sort of ground will be easy to dig into ? What sort may prove hard ? He observes how forteresses have been built. He identifies the features of the relief that could be used for concealment or lauching attaks. Having done that, he goes on to the experimental, trial-and-error stage. He carries out reconnaissance, he posts sentries, he orders reports. Then he works out his tactic. Sapping ? A siege ? Explosives, or direct assault ? The method, in the end, is nothing other than this stategy.

Michel Foucault "I’m an explosive expert", 1975.
 








Glissement et relecture analogique :




grande civilisation = 

excavation et tas

Il est toujours choquant de parler de ça, alors que ça a toujours fait partie de ce que l’on appelle la civilisation. Une grande civilisation est d’abord une civilisation qui a une voirie. Tant qu’on ne partira pas de choses de ce genre, on ne dira rien de sérieux.

Chez les peuples que depuis un certain temps on appelle primitifs, je ne sais pas pourquoi, alors qu’ils n’ont absolument aucun caractère de primitivité, ou disons, dans les sociétés dont s’occupent les ethnologues – encore que, depuis que des théoriciens ont mis leurs pattes là-dedans en bafouillant sur le primitif, l’archaïque, le pré-logique, et autres foutaises, personne ne comprend plus rien -, eh bien, il y a moins de problèmes de voirie. Je ne dis pas qu’il n’y en a pas. Et c’est peut-être parce qu’il n’y en a pas. Et c’est peut-être parce qu’ils ont moins de ces problèmes qu’on les a appelés des sauvages, et même des bons sauvages, et qu’on les considère comme des gens plus près de la nature.

Mais pour ce qui est de l’équation grande civilisation = tubes et égouts, c’est sans exception. A Babylone il y a des égouts, à Rome il n’y a que ça. La Ville commence par là, Cloaca Maxima. L’empire du monde lui était promis. On devrait donc en être fier. La raison pour laquelle on ne l’est pas, c’est que si l’on donnait à ce fait sa portée, si l’on peut dire, fondamentale, on s’apercevrait de la prodigieuse analogie qu’il y a entre la voirie et la culture.

Ce n’est plus maintenant un privilège. Tout le monde en est plus que couvert. Ça se fige sur vous la culture. Engoncé comme on est dans cette carapace de déchets qui viennent aussi de là, on essaie de donner vaguement à ça une forme. A quoi cela se résume-t-il ? A de grandes idées générales, comme on dit. L’histoire par exemple.    

 

 Mon enseignement, Jacques Lacan, Edition du seuil, extrait pages 84,85.






Slidind and analogical reading :



GREAT CIVILIZATION = 

excavation and heaps




Talking about this is always shocking, even though it has always been part of what we call civilization. A great civilization is first and foremost a civilization that has a waste-disposal system. So long we do not take that as our starting point, we will not be able to say anything serious. 
Amongst those people we have for some time called primitive, though I have no idea why we call them that because they have none of the characteristics of primitiveness at all, or let's say the societies that social anthroplogists study - even thought, now that the theoricians have put their oar in and go on about the primitive, the archaic, the pre - logical and all that bullshit, no one understands them any more - well, there are few problems with waste disposal. I am not saying there aren't any.  And perhaps it is because they have fewer of these problems that we call them savages, or even noble savages, and we regard them as people who are closer to nature.                                                                                       
 But when it comes to the equation great civilization = pipes and sewers, there are no exceptions. There were sewers in Babylon, and Rome was all sewers. That's how the City began, with the Cloaca maxima. It was destined to rule the world. So we should be proud of it. The reason why we are not is that, if we gave this phenomenon  what we might call its fundamental import, we would find the prodigious analogy that exists between savages and culture.                                                 
Culture is no longer a privilege. The whole world is more than covered in it. Culture clots on you. Because we are cooped up in the great shell of waste that comes  from the place, we make vague efforts to give it a form. What does that come down ? To great ideas, as they say. History, for example.           

My teaching, Jacques Lacan, translated by David Macey, Verso edition, extract from pages 65, 66.

Artefact                                                                                                                         
Sébastien Montéro, février 2019.